Marcel



Je pense souvent à lui. Comme ce matin (mercredi) en montant au village avec un temps splendide, reflété magnifiquement par l'or des feuilles des chênes contre le bleu électrique des montagnes. D'ailleurs on dirait qu'il y a un décalage saisonnier d'un mois. Difficile à croire qu'on est en décembre avec un temps et des couleurs automnales pareilles. Une saison donc bénie de chanterelles, beaucoup de chanterelles. Cadeaux assez rares et généreux de la nature, comme une compensation pour la mesquinerie et l'étroitesse des idéologues fatigants de notre époque bizarre!

Marcel, par contre, était le paradigme de la générosité, et apolitique. C'est vrai qu'une fois il nous a confié qu'il était 'communiste'. C'était peut-être enraciné dans la famille, mais c'était celui de la vieille école, quand le communisme représentait un idéal, une cause véritable contre une tyrannie alors réelle et impitoyable. Mais jamais Marcel ne parlait de politique. Seulement lorsque la politique divisait irrévocablement le village. Là il en parlait avec triste résignation de la bêtise de ceux responsables.
Donc parfois il parlait des gens, et un coup d'oeil de sa part lui aurait suffi pour les evaluer et même connaitre.

Marcel était maçon. Dans le village on le considérait artiste, et c'est bien vrai. Regarder Marcel tailler la pierre et construire un mur était une joie. Il le faisait dans la vieille manière, en coupant des jeunes pins droits pour fabriquer un échafaudage tout donc en bois.
Marcel a commencé à travailler à 14 ans. Il pouvait toujours tailler la pierre et bâtir même à 86 ans. Il aurait rigolé à l'idée de travailler 35 heures par semaine. Lui, lorsqu'il commençait quelque chose, il continuait aussi longtemps que ça lui plaisait, parce que pour lui tailler la pierre, construire même une maison, était une manière de vivre voire un plaisir, et jamais un devoir pénible.

Ses mains étaient les mains d'un artiste. En les regardant on avait du mal à croire qu'il travaillait la pierre depuis l'âge de quatorze ans. Aucun défaut, aucune cicatrice, comme si la pierre et lui partageaient un ancien et précieux secret.

Il m'avait aidé à restaurer une grande cave voûtée. D'abord il m'avait montré comment le faire, puis petit à petit il faisait presque tout, naturellement. Et jamais il ne voulait accepter quoi que ce soit pour tout ce qu'il faisait.
Une autre fois en parlant quasi à moi-même lorsqu'il était avec moi et qu'on buvait ensemble un petit Scotch, j'ai pensé qu'une arche traversant les escaliers de la maison pour lier une terrasse à une rocaille, ne serait pas une mauvais idée. Il le pensait lui aussi, et le lendemain il commençait le travail comme si de rien n'était !
Encore une fois j'ai été épaté de voir sa façon de fabriquer une charpente voûtée pour supporter les pierres, puis il n'avait jamais besoin de faire des calculs ou des plans. Marcel tenant toute l'information nécessaire dans sa tête. Ainsi il savait même avant de commencer ce qui était possible de faire, et comment on allait le faire.


Marcel chassait aussi mais je pense que plus tard il préférait chasser plutôt les champignons.
Il connaissait les meilleurs et où les trouver. Les fois où on était allés avec lui sont inoubliables. D'ailleurs la dernière fois où on est allé avec lui, c'est justement lui qui l'avait dit; que cela a été une journée inoubliable.

Il avait construit sa propre maison même avec sa femme de l'époque. Toute en pierre taillée. Quand je vois sa maison et je sais qu'il n'est plus là, ça me fait quelque chose, car Marcel me semblait quasi immortel.

Sa sœur m'en avait parlé, en juillet de cette année. Il a été hospitalisé en urgence, mais je ne savais pas encore alors qu'il n'y avait pas grand chose à faire. Cancer. On l'a installé dans une sorte d'hôpital de repos près du village en bas. Je connaissais bien cet endroit à cause d'autres circonstances.

Je suis allé le voir, mais j'ai eu du mal à le reconnaître tant qu'il avait maigri. Je lui ai apporté beaucoup de raisins rose italiens, et même une bouteille de vin. Il ne pouvait pas manger mais il adorait ces raisins. Il les mangeait, ou plutôt il les écrasait dans sa bouche les buvait l'un après l'autre avec délice. Je ne sais pas s'il m'avait reconnu. On m'a dit que oui. Mais il a fallu que j'aille le voir. Il mourut quelques jours plus tard.
Il me manque. Ceci c'est pour lui.
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Text and portraits © Mirino (PW). December, 2013

5 comments:

Mirino said...

Il va sans dire qu'un petit commentaire ne suffit pas pour rendre hommage à Nelson Mandela, mais il a fallu laissé un petit mot en attendant.

Hier soir Nelson Mandela est mort agé de 95 ans.
Comme un clin d'oeil il avait echappé à ce destin inévitable quelques mois plus tôt, et contre toute attente.
Mais voilà un homme exemplaire qui a inspiré le monde entier.
Et quel exemple !

Combien d'hommes sont capables de vivre 27 ans incarcérés pour ensuite sortir non pas diminué, mais grandi, et souriant, sans aucune rancœur? Tellement grandi dans tous les égards pour pouvoir devenir un des plus respectés Présidents africains de l'histoire, et respecté par le monde entier. Une légende même pendant sa vie, le Gandhi africain, icône inoubliable.

Voilà un homme qui avec mépris a écrasé le mot "racisme" dans son poing avant de le jeter dans la fosse parmi d'autres immondices, bien associées.

A Washington il y a un superbe monument de Martin Luther King. Le monde a aussi bien besoin d'un monumental mémorial digne de ce héros de l'humanité africaine. Nelson Mandela mérite le meilleur, parce que si pendant sa vie il a été si souvent contraint d'accepté le pire chez les autres, il a néanmoins toujours donné le meilleur de lui même.
God bless.

Anonymous said...

Merci pour ce bel hommage à Tonton Marcel. Avec mes parents et ma soeur nous lui avons rendu visite après vous, malgré sa grande fatigue, il s'est levé et est allé chercher les raisins dans son armoire et a insisté pour que nous les mangions. Il nous avait fait part de votre visite et a voulu absolument faire boire un verre de vin à son frère, il nous a fait bien rire même dans sa chambre d'hopital il avait gardé le sens de l'hospitalité.

Un grand merci, vos aquarelles sont magnifiques.

Sa nièce

murielle roquebrun said...

Je voulais vous remercier pour ce magnifique hommage à mon oncle. Vous l'avez décrit d'une façon si juste...J'ai pleuré en vous lisant mais cela m'a fait un bien fou de réaliser que Marcel était reconnu pour ce qu'il a été un artiste, un battant, un fervent... vous avez un grand coeur Peter et je suis heureuse que Marcel vous ait connu car il vous aimez beaucoup pour ce que vous êtes :un artiste et un humaniste
murielle

Françoise said...

Merci Peter pour ce bel hommage à Marcel.Nous sa famille nous savions combien il était sincère, aimant, dévoué, honnête..., mais dit par un ami de Marcel comme vous Peter nous touche encore plus.
Même à l'hopital il avait son sens du bon accueil et le jour ou vous lui aviez apporté le raisin et le vin, vite il s'est empressé (malgré sa grande faiblesse) de nous en offrir. Combien Marcel nous manque....

Mirino said...

Je vous remercie beaucoup pour ces mots qui me font vraiment plaisir. Mais vous saviez sans doute mieux que moi à quel point Marcel était très spécial.
Bien que modeste comme hommage, il le mérite tant.
Merci encore.