Leonardo da Vinci, le portrait



L'artiste/illustrateur qui veut évoquer une émotion à travers une attitude ou une action particulière d'un être humain ou d'un animal, même s'il a un modèle ou des références convenables, doit aussi pouvoir se mettre dans la peau de son sujet pour obtenir le résultat recherché. Un bon artiste devrait donc être aussi un(e) bon(ne) comédien(ne).


C'est aussi pour cela que l'œuvre finale constitue en bonne partie un reflet de l'âme de l'artiste-même, à condition que ce dernier soit satisfait des résultats.

Oscar Wilde, qui manifestement comprenait bien cette vérité disait- 'Every portrait that is painted with feeling is a portrait of the artist, not the sitter.' (Chaque portrait peint avec sentiment et émotion est un portrait de l'artiste et non pas du sujet).

Evidemment Leonardo da Vinci le savait bien lui-aussi.
Depuis longemps j'ai toujours pensé que La Gioconda était plus un auto-portrait qu'un portrait véritable d'une femme particulière. (Même si l'œuvre est attribuée à être le portrait de Lisa Gherardini, la femme de Francesco del Giocondo).

Ce chef d'œuvre eut une telle importance pour Leonardo, que l'on dit qu'il le portait souvent avec lui, comme si le portrait était partie essentielle de son être, donc de son âme.

Il va sans dire que dans ce cas, lorsqu'on utilise le terme auto-portrait, on réfère aux aspects bien plus profonds que les aspects superficiels de ressemblances physiques. Dans ce cas particulier ces aspects pourraient se constituer du confluent de toutes les connaissances du maître, y compris son amour, son respect, et même son humilité devant la femme, la vie, le monde et l'univers.

Cette femme avec son sourire insaisissable, semble vouloir presque nous transmettre- avec un clin d'œil- un indice subtil du 'Secret'. Ce n'est pas le sien, bien entendu, c'est celui de Leonardo da Vinci. On qualifie sa technique, une maîtrise de peinture hors pair, de sfumato ('la fumée de Leonardo'). Les gradés si raffinés de couleur de peau, les détails à point par rapport avec ceux un peu plus loin de l'œil ou domptés par l'ombre, et ceux des montagnes disparaissant dans la brume de l'atmosphère de l'arrière plan.

En lisant ses notes on a toute fois l'impression que le génie, savant et technicien ait voulu parfois subroger l'artiste en lui, avec une rationalité parfois paradoxale. Peut-être ceci fait aussi partie du Secret, et l'énigmatique sourire. Tout comme le code et ce que l'on pourrait lire dans son interprétation de La Cène (L'ultima cena).
Je me rappelle d'une remarque d'une vielle femme cultivée et discernante à propos d'une aquarelle qu'elle regardait, Vous les artistes, vous ne savez jamais pourquoi vous faites vos œuvres. Ce qui les rend ce qu'elles sont, et leur donne parfois, espérons, ce reflet, cette âme magique et éternelle.


Ceux qui suivent sont des exemples pris des notes de Leonardo, qui non seulement soutiennent la 'théorie citation' d'Oscar Wilde, mais qui semblent vouloir traiter l'aspect d'influence personnelle, certainement sur le plan superficiel, comme 'le plus grand défaut des peintres'. (Les 'f', de l'impression du vieux italien, sont corrigés en 's', mais les 't' qui seraient parfois les 'z' sont laissés comme tels).

Dell'inganno che si receve nel giuditio delle membra. CAP. XLII

Quel pittore che havrà goffe mani, le sarà simili nelle sue opere, e cosi gl'interverrà in qualunque membro, se il lungo studio non glielo vieta. Però ogni pittore deve guardare quella parte che hà più brutta nella sua persona, e a quella con ogni studio far buon riparo.


La tendance de se tromper de jugement des membres physiques.

(Le peintre devrait être conscient de ses propres fautes physiques pour éviter de les reproduire en les incorporant inconsciemment dans son œuvre).

Del diffetto del pittore. CAP. XLIV

Grandissimo diffetto è del pittore ritrarre overo replicare li medesimi moti, e medesime pieghe di panni in una medesima historia, e far somigliar tutte le teste l'una con l'altra.


(Le plus grand défaut, c'est celui des peintres qui répliquent les mêmes mouvements, les mêmes visages et le même genre de vêtements dans une même scène, et qui font ressembler la plupart des visages. Ce sont des peintres qui se contentent d'une formule de facilité).

Precetto, perché il pittore non s'inganni nell' elettione della figura in che s'à habito. CAP. XLV

Deve il pittore far la sua figura sopra la regola d'un corpo naturale, il quale comunemente sia di proportione laudibile; oltre di questo far misurare se medesimo & vedere in che parte la sua persona varia assai, o poco, da quella antedetta laudibile ; e fatta quella notitia deve riparare con tutto il suo studio, di non incorrere, ne' medesimi mancamenti nelle figure da lui operate, che nella persona sua ritrova; e con questo vitio ti bisogno sommamente  pugnare, cociosiach' egli è mancamento, ch'è nato insieme col giuditio: perche l'anima è maestra del tuo corpo e quello del tuo proprio giuditio, è che volentieri elle si diletta nell'opere  nel comporre il tuo corpo : e di qui nasce, che non è si brutta figura di femmina, che non trovi qualche amante, se già non fusse monstruosa, e in tutto questo habbi avvertimento grandissimo.


(Le peintre doit faire ses personnages selon la règle du corps naturel qui est quand même de proportions louables; au lieu de quel il se réfère à ses propres proportions et voit plus ou moins lui-même comme le susmentionné norme louable. Il doit être conscient de ce défaut pour pouvoir le réparer avec tout son savoir, et de ne pas se tromper en croyant une œuvre belle qui a ses propres caractéristiques physiques : parce que l'âme est le maître de ton corps et de ton propre jugement, et elle se délecte d'incorporer ton corps :  de ceci est né l'idée que la femme n'est jamais trop laide pour trouver quelques amants, si déjà elle ne fut pas monstrueuse, et dans tout ceci il y a un grand avertissement).    

Dans la traduction français (André Keller) Del Trattato della Pittora di Leonardo da Vinci traitant de ce sujet particulier, il semble y avoir un peu de confusion entre l'aspect physique donc visuel, et l'aspect spirituel. Le mot âme est trop souvent employé. Ce que le Maître souligne est, en fait, très simple et très vrai, que certains artistes ont souvent une tendance maladroite de projeter leurs propres aspects physiques dans leurs œuvres, ainsi révélant leur manque d'objectivité, d'imagination et de connaissances. Ceci n'a rien à voir avec le côté spirituel. Au contraire, lorsqu'Oscar Wilde disait que Chaque portrait peint avec émotion est un portrait de l'artiste et non pas le sujet, il voulait dire qu'une vraie œuvre d'art, quoi qu'elle représente, reflète l'âme de l'artiste plus encore qu'elle ne représente le sujet, sinon elle ne représenterait rien de grand intérêt, ou de grande valeur.


Sans doute c'est aussi pour cela que l'on reste toujours ébahi devant les œuvres de Leonardo de Vinci, car son âme en réverbère avec une force monumentale, que ce soit à travers les muscles et les tendons d'un vieil homme intensément observés, ou à travers l'expression si paisible, douce, énigmatique et hors de temps d'une jeune femme sage qui nous sourit éternellement tout en se gardant de révéler son secret éternel.
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Text and translations from the Italian © Mirino. Notes in Italian taken from Le Traite de la peinture de Leonardo de Vinci, chez Jean de Bonnot. Top image- self-portrait of Leonardo (red chalk). Royal Library of Turin. Leonardo da Vinci (né Avril 15, 1452-1519 à Vinci, près de Florence, mort mai 2, 1519, Amboise, France). 
Anatomical studies (muscoli in azione) 1508-1510.
Etude d'un cheval (silverpoint on prepared paper) Royal Library, Winsor.
(Wikimedia Commons with thanks).
La Gioconda (entre 1503 et 1505) huile sur peuplier, 76,8 x 53 cm. Musée du Louvre. (Wikimedia Commons with thanks). Digitally retouched in damaged areas by M.
(Among the notes of such studies one can read this invocation: 'O speculatore di questa macchina (umana) non ti rattristi il fatto du farla conoscere per l'altrui morte, ma rallegrati che il nostro Creatore abbia l'intelletto volto all'eccellenza di tale strumento'. 
O spectateur de ce mécanisme (humain), ne t'attriste pas du fait de le faire connaître par des morts, mais réjoui toi que notre Créateur ait eu l'intellect de se consacrer à parfaire un tel instrument').                                               October, 2011

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